Pierre Lune poésies symboliques

Pierre Lune poésies symboliques

La Chanson des Morts

 

La Chanson des Morts

 

Fragment d'un poème: Un Amour dans les Tombes.

 

 

                                    «Qui vous dit que la mort n'est pas

                                        une autre vie?»

 

Une nuit que le vent pleurait dans les bruyères,

À l'heure où le loup maigre hurle au fon des forêts,

Où la chouette s'en va miaulant dans les gouttières,

Où le crapaud visqueux râle au fond des marais,

Disputant ma pelisse à la bise glaciale,

Par les sentiers perdus je m'en allais rêvant,

Fouetté par l'âpre neige et l'ardente rafale

Le saule échevelé se tordait en pleurant,

L'ombre sur le chemin finissait de s'étendre,

Un chien poussait au loin de plaintifs hurlements,

Derrière moi sans cesse il me semblait entendre

Un pas qui me suivait et des ricanements!

Tandis que je suivais ces routes isolées,

La chevelure au vent et frissonnant d'effroi,

S'éparpillant au loin en lugubres volées

Minuit sonna bientôt au clocher du beffroi.

Je m'assis sur un tertre où jaunissait le lierre,

Devant moi s'étendait l'immense cimetière...

.................................................................

... Quand je vis tout à coup, légion vagabonde,

Se prendre par la main des squelettes glacés.

On commence, et tandis que tournoyait leur ronde

Ils glapissent en choeur l'hymne des trépassés:

 

               Tandis qu'à ton front passe

               Un nuage orageux,

               Lune, voile ta face

               Et détourne tes yeux.

               Nous allons en cadence

               Et que chacun s'élance

               Donnons à cette danse

               Nos bonds les plus joyeux.

 

Ils hurlent en sifflant et l'ardente rafale

Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.

 

 

               Pauvre sagesse humaine

               Dont le monde est si fier,

               Tu te disais certaine

               D'un ciel et d'un enfer.

               Enfer et ciel, chimère!

               On vit au cimetière

               Sans Dieu ni Lucifer!

 

Ils hurlent en sifflant et l'ardente rafale

Emporte les éclats de leurs voix sépulcrales.

 

               Oui, c'est au cimetière

               Qu'on vit après la mort;

               Sur l'oreiller de pierre

               Le trépassé s'endort.

               Mais quand l'ombre s'étale

               Il soulève sa dalle

               Et de sa tombe il sort.

 

Ils hurlent en sifflant et l'ardente rafale

Emporte les éclats de leur vois sépulcrale.

 

               Nous narguons de la lune

               Les regards pudibonds,

               Nous dansons à la brune

               Ainsi que les démons,

               Puis la danse passée,

               Sur la pierre glacée,

               Près de notre fiancée,

               Mieux que vous nous aimons.

 

Ils hurlent en sifflant et l'ardente rafale

Emporte les éclats de leur vois specturale.

 

              Puisqu'ils oublient si vite

              Leurs plus proches parents,

              Que leur regret habite

              En eux si peu de temps.

 

              Crachons-leur ce blasphème:

              À leur ciel l'anathème!

              Anathème à Dieu même!

              Anathème aux vivants!

 

Ils hurlent en sifflant et l'ardente rafale

Emporte les éclats de leur voix sépulcrale.

 

Et moi pétrifié de ces clameurs funèbres,

De mon gosier en feu sort un cri de terreur;

Et je les vis soudain dans l'ombre et les ténèbres

Qui fuyaient en tumulte harcelés par la peur,

Puis tout se tut bientôt. De nouveau le silence

Commençait à régner quand j'ouïs tout à coup

L'un d'entre eux fureter comme un spectre en démence

Et hurler en pleurant:«On m'a volé mon trou!»

 

 

Jules Laforgue. Paris, février 1978

               



18/03/2011
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